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Les arbres climatisent la ville en transpirant

Ils constituent des atouts précieux, en fournissant de l’ombre et en rafraîchissant l’atmosphère. Différentes études tentent de quantifier ces effets pour les maximiser.

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Le terme îlot de chaleur urbain (ICU) caractérise un secteur d’une ville où les températures de l’air et des surfaces sont supérieures à celles de la périphérie rurale. En milieu citadin, l’énergie solaire est em­ma­gasinée dans les matériaux des bâtiments, les revêtements des chaussées et des parkings, selon leur albedo, c’est-à-dire leur capacité à l’absorber ou à la réfléchir. La nuit, celle-ci est restituée sous forme d’infrarouge, donc de chaleur, dans l’atmosphère. L’air se refroidit donc moins vite qu’à la campagne. Un différentiel qui peut atteindre, dans les îlots de chaleur, de 3 à 10 °C. L’écart est très marqué entre les centres-villes très minéralisés et leur périphérie.

Limiter les îlots de chaleur relève de deux types d’actions. Préven­tives, tout d’abord, visant à diminuer la source de rayonnement : réduire l’exposition des façades et des sols aux rayonnements solaires par des ombrages, des rues étroites, etc., ou utiliser des matériaux stockant moins d’énergie : matériaux de couleur claire (au fort albedo), parkings enherbés ou toits végétalisés plu­tôt que minéraux. Des actions cura­tives, ensuite, en favorisant l’évaporation pour rafraîchir la masse d’air : climatisation, points d’eau ou bien arrosage de la chaussée…

Limiter le rayonnement

Les arbres ont naturellement la propriété d’offrir ces deux bénéfices : fournir de l’ombrage et rafraîchir l’atmosphère.

L’incidence de l’ombrage est déterminée par deux facteurs : la forme de la ramure, qui induit une surface projetée plus ou moins importante, et la densité foliaire, c’est-à-dire la capacité à intercepter la lumière. Il y a une relation directe entre la den­sité du feuillage et la différence de température à l’ombre. On sait très bien modéliser ce facteur et quantifier l’effet sur les îlots de chaleur.

Le rafraîchissement est quant à lui directement lié à la transpiration par les feuilles : l’évaporation de l’eau liquide passant à l’état gazeux. L’intensité du phénomène dépend de l’espèce, de l’âge et de la bonne santé de l’arbre – qui lui permet de développer une surface foliaire importante –, ainsi que de la régulation stomatique : plus l’air est sec, plus forte est l’évaporation. Mais en situation de stress hydrique, dans le but d’éviter un desséchement irré­ver­sible, les arbres ont la capacité de réguler leur transpiration en fermant les stomates situés sur la face infé­rieure des feuilles, ce qui bloque l’effet rafraîchissant.

La disponibilité en eau pour les ra­cines se montre donc primordiale pour abaisser la température. L’état physiologique de l’arbre est également important : les stomates restent ouverts plus longtemps si les feuilles sont riches en azote. Entre un sujet stressé et un autre qui croît normalement, on peut noter une différence de 10 °C dans le feuillage.

Quantifier l’effet rafraîchissant des arbres

Contrairement à l’ombrage, des difficultés apparaissent pour quantifier, en fonction des différentes espèces, les effets rafraîchissants des arbres. C’est précisément un des objectifs que s’est fixés l’expérimentation menée par la métropole de Lyon (69) sur une portion de l’avenue Garibaldi, récemment réaménagée. Conçu dans les années 60 comme une « autoroute urbaine » pour faciliter le trafic automobile au centre, l’axe n’est plus adapté à la ville­ du xxie siècle. Le plan de réa­ménagement, dont les travaux ont débuté en 2014, s’étend sur trois kilomètres. Il propose un nouveau partage de la voirie, avec un espace dédié aux voitures réduit au profit des autres modes de transport (motos, vélos, transports publics) et des piétons, et une forte végétalisation : entre 5 à 35 % de l’espace devrait être couvert par 75 espèces.

Une trame a été créée en plan­tant un double alignement d’arbres de part et d’autre des voies de circulation. Les différentes essences ont été sélectionnées en fonction des con­ditions­ pédoclimatiques. Hormis les premières années suivant la plantation, elles sont capables de résister à des périodes­ de sécheresse pro­longéessans arrosage. Des par­ticu­la­rités importantes marquent cet amé­nagement. Notamment une végétalisation fortement diversifiée : arbres, arbustes, plantes vivaces et tapissantes et des alignements irréguliers d’arbres d’essences diverses, aux tailles différentes (cépées, tiges, formes naturelles...), offrant une am­biance de futaie jardinée plutôt que de futaie régulière.

Le point fort du projet s’appuie sur la conservation des arbres existants en bon état sanitaire (reliquats d’ali­gne­­ments ou de plantations aléa­toires). Intégrés à l’aménagement, ces platanes, âgés de 60 à plus de 100 ans, représentent près de 60 000 m² d’om­brage et offrent au projet une matu­rité dès la fin des travaux.

Autre point essentiel du réaménagement de la voirie, la transformation d’une ancienne trémie de circulation (partie de route surbais­sée) en réservoir a permis de stoc­ker des centaines de mètres cubes d’eau pluviale. Cet ouvrage est à l’origine d’une expérimentation sur le pouvoir d’abaissement thermique de la végétation, lancée dans le cadre du Plan Canopée et du Plan climat air énergie territorial (PCAET) de la Métropole de Lyon : peut-on augmenter le potentiel des arbres, pendant les vagues de chaleur, souvent couplées à des épisodes de sécheresse, en procédant à des irriga­tions ponctuelles et massives pour relancer ou augmenter l’évapotranspiration ?

Effet de l’irrigation

C’est ainsi qu’un test­ d’irrigation a été lancée dans le cadre du projet européen Biotope. Des capteurs connectés sont mis en place pour suivre le niveau d’eau dans le bassin de stoc­kage, surveiller la disponibilité pour les racines par tensiométrie, évaluer la transpiration des arbres par des variations micrométriques et enfin évaluer l’atténuation thermique par des mesures­ continues de température au niveau du sol, dans l’arbre et dans la rue qui est n’est pas végétalisée.

Deux types de mesures compara­tives de température ont été me­nées. La première, plus « classique », réalisée entre 2016 et 2018, s’intéressait à l’influence de la végétation entre­ les zones plantées et celles non végétalisées. Dans les premières, en température absolue sous abri, le gain est relativement faible : entre 1,5 et 2,5 °C. Mais cette donnée est peu significative car l’air est sans cesse en mouvement et s’homogénéise en permanence entre zones chaudes et fraîches. La température ressentie mesurée en fonction de l’indice universel du climat ther­mique (UTCI) est plus représenta­tive et plus concrète pour les habitants, avec une différence de l’ordre de 9 à 10 °UTCI.

Le second type de mesure, menée à partir de 2019, a pour but d’appréhender en périodes de canicule l’effet rafraîchissant supplémentaire par transpiration, induit par une irrigation massive. Sur la partie de l’avenue réaménagée­ et végétalisée, quatre tronçons ont été matérialisés : tous de même configuration, immeubles côtés est et ouest, d’une hauteur identique, séquences homogènes entre­ les arbres conservés et ceux nouvellement plantés. Seul le premier tronçon est irrigué, les trois autres servent de témoins. Les mesures effectuées en 2019, lors des deux périodes de forte canicule, fin juin et fin juillet, ont montré, au niveau du feuillage, un abaissement thermique supplémentaire de 0,5 à 1 °C entre un arbre­ adulte irrigué et un autre non irrigué.

Cette expérimentation se poursuit en 2020 pour, d’une part, conforter ces résultats et, d’autre part, définir différents protocoles et modélisations dans le but de déterminer les conditions de réplication de ce modèle, pour le Grand Lyon ou d’autres collectivités : solutions simplifiées en ce qui concerne le stockage et l’irrigation­, le moment idéal à partir duquel il est recommandé d’apporter l’eau, et en quelle quantité…

Claude Thiery

- La transformation d’une ancienne trémie de circulation (partie de route surbaissée) en réservoir a permis de stocker plusieurs centaines de mètres cubes d’eau pluviale.

- Hormis les premières années après la plantation, les arbres doivent pouvoir résister à des périodes de sécheresse prolongées sans arrosage.

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